Disons-le clairement : le marché est totalement bloqué (et ce, même si vous lisez le contraire ailleurs)!
L’année 2013 commence mal pour les professionnels de l’immobilier. L’état du marché est très mauvais, du moins en zone rurale. Celui qui vous dira le contraire, soit, se ment à lui-même, soit, mérite une médaille dorée à l’or fin, pour le récompenser de son art extrême à manier la langue de bois (et quelques claques bien assénées, lors de la remise de sa récompense).
Pour la première fois, depuis que je vis un rêve éveillé dans le doux domaine de l’immobilier, je n’ai pas vendu sur un mois complet. Vous avez bien lu : 31 Jours sans aucune vente. Rien. Nada. Pourtant, promis, en Janvier, je n’étais pas occupée à dévaler des pistes de ski, ni à siroter des cocktails aux bars des sommets (pour ceux qui en douteraient, venez constater mon absence de bronzage). Non, j’ai travaillé comme d’habitude, plus de 50 heures/semaine.
J’ai donc classiquement assumé gracieusement plusieurs visites journalières de biens immobiliers avec des acquéreurs tous plus ou moins désinvoltes, parfois franchement insupportables. J’ai réalisé une bonne douzaine d’évaluations, j’ai répondu à plusieurs dizaines de demandes de renseignements par téléphone, j’ai envoyé par mail, suite à la demande de multiples internautes, dévorés par une curiosité insatiable, un nombre incalculable de « nombre de cheminées », « surfaces de chambre », et autres « montants de taxe foncière ». Bref, j’ai travaillé gratuitement ce mois-ci pour une bonne centaine de « clients » (je ne devrais pas les appeler ainsi puisque qu’aucun d’entre eux n’a déboursé le moindre euro, le mot « patients » serait donc plus approprié, surtout en corrélation avec l’état maladif du marché).
Je ne sais pas avec précision, comment se portent les affaires en zone hyper-urbaine (centre-ville de Toulouse genre « Capitole-Saint-Georges-Ozenne »), si les ventes, dans ces quartiers privilégiés, se poursuivent à un degré aussi soutenu qu’avant. En revanche, j’ai le sentiment que, encore une fois, « l’égalité » des biens devant le marché n’est franchement pas d’actualité. Selon que vous vendez une maison isolée (pire un appartement mal placé) ou un bien individuel en plein centre-ville, la conjoncture vous sera favorable ou non.
Il semblerait qu’avec « la crise », les rares acquéreurs encore en piste, fidèles au comportement moutonnier qui a toujours été le leur depuis que le monde est monde, et que ce dernier a été doté d’une économie de marché, cherchent tous la même chose : une maison (les appartements n’ont pas vraiment la côte en région toulousaine, il y fait « trop » beau), de plain-pied ou avec au moins une chambre en RDC, surtout avec un jardin (même petit, mais tout de même supérieur ou égal à 100 m² de gazon, cour ou balcon excluant le bien), un garage attenant (si en face, pas bon du tout, vous comprenez, il faut traverser), le tout en centre-ville ou village animé (c’est-à-dire avec commerces de commodité A PIEDS). Plus de 800 mètres de la boulangerie, et la maison tombe dans la catégorie difficilement vendable….Le tout pour moins de 200 000 euros FAI !
Il est parfois agaçant de constater que de jolies maisons, plus qualitatives et souvent plus grandes, paradoxalement affichées à un prix inférieur à d’autres produits plus petits mais plus urbains, sont délaissées par les visiteurs, parce que situées 2 Kms trop loin. Seule une catégorie de biens est régulièrement visitée, ces temps-ci, et les négociations plus faibles car les acquéreurs potentiels se retrouvent en concurrence sur UNE même maison (alors qu’il n’y a personne sur d’autres). Par exemple, dans mon portefeuille actuellement, à deux kms du centre-ville, un autre bien (mieux côté au DPE et avec des prestations supérieures) n’est donc même pas jugé digne de recevoir un coup d’oeil. Décidément, l’immobilier n’est pas toujours « rationnel ». Mais le « client est roi », comme je l’ai lu régulièrement dans les commentaires de ce blog.
L’agent immobilier, que je suis, pourrait donc vendre encore fréquemment, en ce mois de Février 2013 (non, mais, c’est à se demander pourquoi je ne pète pas les scores), mais il lui faudrait parvenir à concilier deux petits miracles en simultané :
1. Dégotter LE bien immobilier (si possible plusieurs pour pouvoir en vivre) que tout le monde recherche (résumons, une maison même moche, petite surface, petit jardin, petit garage attenant, avec une chambre en RDC, à 60 mètres de l’école du quartier)
2. Convaincre les gentils propriétaires de ce petit bijou (parfois rafistolé artisanalement, mal noté au DPE, mais, qu’importe, stratégiquement positionné) que, même bien placé, sans gros défaut, sans travaux, le prix ne doit pas excéder 200 000 euros avec mes frais.
Merci à chacun alors de se rembobiner mentalement la décennie passée et les inepties qui ont été débitées, mais malheureusement parfaitement gravées dans le cerveau cupide de nos honnêtes concitoyens, à savoir que l’immobilier est une valeur sûre, que les prix ne peuvent que monter, qu’on ne vend qu’une fois et que cette opportunité unique « dans la life » est une occasion extraordinaire de gagner au loto, etc…
Donc, si vous me suivez toujours, concernant le deuxième point, à savoir laisser entendre au propriétaire qu’au-delà des 200 000 euros FAI, point de salut, je dois avouer que le chemin me semble long, très caillouteux, voire impraticable, à ce jour.
Lorsque j’écris ces quelques mots : « les vendeurs ne sont pas prêts à baisser », je me rends compte qu’il s’agit un doux euphémisme et que je suis très en-dessous de la réalité.
Dans la « V.V », (Vraie Vie, pour les néophytes), les propriétaires vivent sur une planète qui n’appartient même plus au même système solaire que les acquéreurs et a fortiori, les agents immobiliers. Je vous laisse juge de la situation ubuesque actuelle, au regard de quelques anecdotes récentes (Janvier 2013) de négociation avec certains charmants vendeurs potentiels:
Panier au vent, de rose vêtue (pour me différencier de certains agents immobiliers, appartenant à un célèbre réseau américain, et préférant la couleur « Poussin »), je me rends, en ce début d’année 2013, toute guillerette, chez un G.P (Gentil Propriétaire, dans ce cas, militaire très respectable, imposant par sa taille et prestance, haut-gradé, plusieurs fois médaillé, à la retraite) qui me reçoit au son de ces mots : « Tirez la chevillette, et la bobinette cherra ». Impeccable fonctionnement de la serrure, me voici à l’intérieur du logis, fort qualitatif au demeurant. L’objet de l’évaluation est une très belle propriété, parfaitement entretenue, avec parc taillé au cordeau, composée de trois maisonnettes en hameau, le tout restauré sur plusieurs hectares de terres avec pool-house et piscine. Vous comprenez qu’il n’est donc pas possible d’asséner dans pareil cas: "au-delà de 200 000 euros, plus rien ne se vend…".
La propriété vaut au moins trois, à trois et demi fois plus, même en période difficile. Le prix tombe (après maints calculs, hésitations, consultations d’experts fonciers partenaires, et, référence à la base PERVAL mise à jour des notaires) : au grand maximum (et avec cierges déposés à Lourdes), 750 000 euros frais d’agence inclus (Prix fatidique rarement atteint en région toulousaine, au-delà duquel les clients vont acheter un T3 à Courchevel ou Biarritz !).
Colère mémorable alors de mon G.P. (« gentil » propriétaire toujours), qui se transforme, d’un coup, en une bête malfaisante verdâtre, mélange d’Hulk et d’un canidé enragé (il a certainement été mordu dans une vie antérieure par un loup garou, puis aspergé dans cette vie présente de rayons gammas au cours d’essais nucléaires militaires, mais cela, je ne le savais pas avant d’y aller, sinon j’aurais mis ma combinaison de Cat Woman ou celui de Black Widow, et non, mon tailleur pastel).
Bref, me voici virée, manu militari (c’est le cas de le dire), couverte d’injures, mon panier jeté au vent, accompagnant le mouvement. Mon oreille aiguisée distingue, alors, entre deux grognements de l’ancien chef d’armée, qu’il souhaite obtenir au plus bas: 1 600 000 euros NETS vendeur de son domaine (vous avez bien lu : un million-six-cent-mille euros nets pour lui). Bien sûr, libre à l’agent immobilier de rajouter, à ce prix non-négociable, sa commission ! Monsieur est trop bon.
De toutes les manières, si notre propriétaire irradié n’obtient pas le prix désiré, il ne vend pas. Point barre. Il n’a pas besoin de cet argent (Note de l’auteur (moi) : « alors pourquoi en vouloir autant, si l’aspect financier n’est pas un souci, hein? »), il détient six ou sept autres propriétés en France et à l’étranger. L’entretien du tout ce parc immobilier n’est pas un problème, ni pour lui, ni pour ses descendants. Il attendra des jours meilleurs ou un agent immobilier plus arrangeant !
Pas gagnée, cette commission, vous en conviendrez.
Autre jour de Janvier, autre anecdote : un propriétaire, médecin sans frontière de profession dans la « V.V », me téléphone. Il voyage beaucoup, n’est jamais en France, toujours entre deux avions à sauver des vies de pauvres enfants indigents. Il a fait le Sahel, le Mali, et il en oublie… Il a vu de la misère sur cette pauvre terre. Il est complètement détaché des contingences matérielles. Il ne m’appelle pas pour raconter sa vie (Ah ?). Il souhaite, en fait, se séparer de ses biens physiques pour être plus libre de voler au secours des nécessiteux. Il a pour projet de vendre une vieille ferme, achetée il y a trente ans, en état de ruines. A présent, notre « Super » gentil propriétaire ne sait plus que faire de cette bicoque. Il aimerait s’en débarrasser avant que le toit ne tombe et que les termites poursuivent leur œuvre. Parfait. J’adore. Cas de figure idéal pour temps de crise.
Mon odorat surentraîné de chasseuse d’affaires renifle le bon coup. Enfin, un « produit » dont l’état justifiera certainement un prix bas (voir très bas car toit pourri et présence de termites), gage de vente plus facile, le tout appartenant à un propriétaire qui s’affirme, d’emblée, « détaché des bas désirs vénaux ». Ah, un homme de cœur, depuis combien de temps votre humble serviteuse n’en a-t-elle pas croisé dans sa patientèle ?
Je vous passe les détails lyriques pour gagner du temps et vais directement à la conclusion de l’affaire. La visite sur place a été une hécatombe : mon estimation de 70 000 euros grand max pour la ferme termitée a été retoquée d’un revers de mail par le médecin sans frontière qui exige, en réalité, 160 000 euros de sa ruine en cours d’écroulement. J’apprends par la même occasion que cela fait 4 ans que la ferme est en vente dans plus de 16 agences ! Des offres, il en a reçu des dizaines en 48 mois. Elles n’ont jamais excédé 70 000 euros, ce que notre homme de cœur refuse catégoriquement d’accepter. Que je comprenne bien sa position : Non, il n’a pas besoin d’argent, il gagne des cent et des mille par mois, mais il estime que cette ferme déglinguée vaut bien 160 000 euros. Donc, il attend le « C…N » qui lui fera LA bonne proposition. Le toit peut bien tomber, dans l’intervalle, il s’en tape le coquillard. De toutes les manières, la terre n’a pas de prix et cette ferme est bien implantée sur un magnifique terrain (entre nous, à dix mille lieux du premier bourg habité, espérons que le prix du baril du brut n’explosera pas dans l’intervalle…). Notre vendeur est d’un optimisme chevronné, chevillé au corps : le marché repartira très vite, et là, un acquéreur censé lui offrira le graal tant convoité depuis 4 ans ! Notre « homme de cœur », détaché de toutes velléités marchandes, n’en doute pas. Moi, en revanche, beaucoup plus que lui. Et, il les facture combien, les enfants du Sahel ?
Loin de ces deux exemples caricaturaux (mais VERIDIQUES !), toutes les estimations de mon agence se heurtent systématiquement, depuis plusieurs mois, à des murs infranchissables, à ce jour, dressés par les vendeurs : les retraits de vente sont légion, les propriétaires mettent à la location, ou attendent des jours meilleurs. En grande majorité, ils préfèrent se couper un bras plutôt que de baisser leur prix.
Sur de tels tarifs élevés, seuls partent les biens immobiliers PARFAITS (adresse prestigieuse, prestations, aucune nuisance). Les statistiques indiquent donc à ce jour une chute importante des volumes de ventes (l’immobilier « moyen », classique ou avec défauts, ne se vend plus guère car il faudrait baisser les prix affichés, avant négociation, de 10 à 15% pour qu’il trouve enfin preneur, baisse que les vendeurs n’envisagent pas encore une seule seconde, à ce jour, tous persuadés que le bien vendu est absolument IRREPROCHABLE). En apparence, les prix chutent à peine, en apparence, mais il faudra bien y venir si certains propriétaires, en situation de contrainte (mutation, divorce, décès…) ne supportent plus de rester éternellement avec leur bien sur les bras.
A mon sens, cette absence de prise de conscience des vendeurs est, largement, engendrée par des discours déconnectés des réalités de certains groupes corporatistes immobiliers, mais également de la part des médias, qui écrivent TOUT et son contraire. Le propriétaire-vendeur peut lire à la fois, que le marché est en difficulté, certes, mais que les prix sont en « très léger repli ». Pas de quoi fouetter un chat, ni envisager de s’assoir sur une partie de sa plus-value. Le sujet est donc évoqué très superficiellement par les medias généralistes qui, pourtant, savent parfaitement être alarmistes quand on leur demande (cf. la psychose de la grippe A). Sur la baisse nécessaire des prix immobiliers, donc, pas beaucoup de relais médiatique de grande portée, malheureusement. Peut-être n’est-ce pas dans l’intérêt de certains journalistes, chef de rédaction, ou hommes politiques, multi-propriétaires…
En attendant, statu quo. Le marché est bloqué. Toute la filière immobilière est en grande difficulté (plus de 10 000 pertes d’emplois dans le secteur de la transaction immobilière en 2012, plus de 3000 agences ont fermé). Je ne vous parle même pas du nombre d’« agents commerciaux » type OPTIMHOME ou CAPI qui ont arrêté. Certes, moins de concurrence pour mon agence, mais faut-il s’en réjouir ?
A mon sens, le mécanisme de grippage en est seulement à son début, mais personne ne s’en émeut. Trop de français attendent leur tour d’être enfin propriétaires pour pleurer sur la baisse des prix. En revanche, dès qu’une usine est menacée de fermeture (200 à 500 emplois menacés en moyenne, soit 25 à 50 fois moins qu’en immobilier), le site industriel reçoit les honneurs de la presse, du gouvernement et cerise sur le gâteau, de Montebourg. Le peuple est alors « peiné » de ce qui arrive aux ouvriers. Pas sûr que la faillite d’agences, mettant chacune entre 4 et 5 personnes sur le carreau, fasse pleurer dans les chaumières.
Deux poids, deux mesures. L’égalité et la fraternité à la Française !
Ce qui m’inquiète, encore une fois, est la nature humaine. La cupidité insatiable des vendeurs les empêche d’anticiper la baisse et les aveugle au point de maintenir des velléités de prix inutilement hauts. Seul un drame de la vie (mort d’un conjoint, divorce, licenciement…), ou parfois le temps écoulé, les ramènera à la réalité. A ce jour, en majorité, ils ne sont pas prêts.