L’écoute du titre « Gros poisson dans une petite mare » d’Orelsan est particulièrement conseillée afin de se mettre dans l’ambiance de l’article ! J'adore ce titre pour les morceaux de vérité qui y sont contenus. Voir lien : link
A la pêche aux clients solvables, il arrive de ferrer quelques gros poissons, grassement nourris, aux écailles dorées, qui exigent pompeusement un traitement à la hauteur de leur supposé pedigree. Mais, il ne faut pas se fier à cette apparence flatteuse, souvent trompeuse.
En réalité, la pêche miraculeuse, celle où de gros poissons suicidaires sautent spontanément dans les avides mains de l'agent immobilier, est rarement d’actualité !
Tant que le vertébré aquatique n’a pas été éviscéré et la chair goûtée, il est en effet difficile de savoir si les branchies de ce dernier fréquentent réellement des eaux limpides, comme il aimerait le faire croire, ou végètent, en réalité, dans la plus épaisse et crasseuse des vases.
L’alevin déguisé en « gros poisson »
Dans la petite mare provinciale toulousaine, il est souvent difficile de distinguer les petits des gros poissons. Chaque alevin souhaitant ressembler à un baleineau, il devient au minimum indispensable de se sur-équiper d’une vision à rayon X pour faire le tri sélectif.
Pour se donner de l’importance, tout poisson, non éclos du dernier œuf, sait qu’il existe un grand nombre de solutions pêchées, soit du côté du comportement, soit de celui de l’apparence (certains particulièrement motivés n’hésitent pas à mixer les deux).
Partant du principe qu’un gros poisson bien riche ne peut être qu’un requin, un grand nombre d’alevins, sous-dimensionnés aquatiquement parlant, estiment qu’être désagréables les fera paraître « plus gros » qu’ils ne le sont. Le ton est cassant, la politesse oubliée, les retards indispensables pour augmenter l’importance supposée du personnage, les excuses bien entendues inexistantes en cas de « lapin ».
Un indice ne manque pas au tableau : de tels vertébrés travestis estiment être tellement gros pour le petit bocal qu’ils occupent qu’ils ne sont jamais disponibles. Certes, ils souhaitent visiter, mais le seul créneau possible sur les 30 prochains jours est, ce soir, à 20h (vous comprenez, ils travaillent, eux, et ne peuvent pas avant, tellement ils sont indispensables à leur entreprise, cette dernière risquant le black-out complet en cas de départ de leur part à 18h).
En tant que négociateur immobilier aguerri, vous ne manquerez donc pas de repérer d’ailleurs bien vite ces poissons mal calibrés (vite qualifiés de « touristes ») à un tel comportement exécrable. Il est amusant d’ailleurs de noter qu’avec l’expérience, les grandes pointures avérées (TOP Management d’Airbus, Siemens, etc…) parviennent, elles, à se libérer une heure entre midi et deux pour visiter ou planifient suffisamment à l’avance leur venue afin d’être assurés d’obtenir de votre part le meilleur service possible.
L’alevin, déguisé en gros poisson, est incapable de s’organiser plus de deux heures à l’avance, lui. Alors, s’engager sur un achat immobilier sur 20 ans, vous imaginez…
Le plus sidérant est que les signes extérieurs de richesse brouillent parfois la vue de tout observateur naïf (que vous n’êtes pas) et rendent parfois les choses plus difficiles à distinguer pour l’agent immobilier.
Les poissons pris dans les filets d’une agence immobilière sont en réalité rarement des clients « simples », à la fois en apparence et dans le comportement. Rares sont les clients véhiculés léger et français. Les vêtements sont griffés, les lunettes de soleil siglées omniprésentes, les ongles manucurés, le teint hâlé naturellement par le soleil ou par UV.
Il est d’ailleurs significatif que lors de nombreuses visites, un observateur extérieur (par exemple, un voisin soucieux d’avoir une conversation avec vous, négociateur immobilier qu’il n’a pas encore rencontré) vous confond de plus en plus souvent, au prime abord, avec les clients, les derniers en « affichant » finalement bien plus en termes d’accessoires ostentatoires.
Sachant que les agents immobiliers ne sont pas réputés particulièrement pour la modestie de leur mise, vous imaginez à quoi ressemblent ces petits poissons soucieux de paraître si gros (de véritables arbres de noël enguirlandés d’accessoires de luxe).
Le plus sidérant est aussi d’écouter les discours enrubannés de ces énormes poissons d’opérette : l’une est décoratrice d’intérieur et son mari grand promoteur (comprendre : « je suis femme au foyer passionnée de rideaux, mon mari est artisan maçon »), l’autre est gestionnaire de patrimoine pour la troisième fortune française, mais visite des maisons de 40 m² affichés à 80 000 euros en pleine ZAC, le dernier a soi-disant fait sa richesse en revendant sa supérette à Leclerc, sauf que societe.com indique une liquidation judiciaire il y a 7 ans.
L’ampleur de la mise et du discours vont donc rarement de pair avec la capacité financière. En tant qu’agent immobilier, il faudra vous y faire.
Le gros poisson véritable dans la petite mare toulousaine
Grâce à quelques hameçons dorés, affichés a minima 700 K€, quelques notables (avérés cette fois) de province tombent régulièrement dans les filets de l’agence. Ces pharmaciens, médecins, notaires, etc.. ayant repris (biffer la mention erronée) l’officine, l’étude, le cabinet, etc…, invariablement de papa, exigent ce qu’il y a de meilleur sur le petit marché immobilier de Toulouse et de sa région. Ces vertébrés-là, frayant dans un bocal étroit, rempli de congénères rencontrés sur les bancs de la fac (bonjour, la consanguinité!), ont le sentiment d’appartenir à l’Elite (avec un E majuscule, même si cette dernière est seulement régionale).
Le coup de fil à l’agence, dans ces cas-là, est toujours tardif, directif, les mots lapidaires, l’intention claire (« Je suis intéressé par la maison située Côte Pavée, budget 1 millions d’euros. Je souhaite visiter ce soir 19h»). Apparemment, notre gros poisson n’est pas là pour faire ami-ami avec son interlocuteur. L’objectif est plutôt d’obtenir un service certes gratuit, mais efficace (la visite rapide de la maison remarquée, à une heure qui permet de partir du cabinet après la secrétaire, mais avant le dîner en ville, toujours prévu en semaine, entre confrères), le tout, si possible, sans avoir à trop converser avec le fruste commercial, bas de plafond, à l’autre bout du fil .
La réponse d’un bon agent immobilier, quel que soit le calibre de la prise piscicole, doit toujours s’orienter vers la fameuse (et agaçante) « découverte du client » et ce, même si le budget déclaré atteint des niveaux stratosphériques pour la région. En effet, comme beaucoup de confrères, si vous exerciez le métier peu reluisant d’agent immobilier, vous ne considèreriez pas votre fonction comme réduite à celle de « porte-clefs », le tout sur commande, au jour et à l’heure demandés.
Donc, vous tenteriez de ferrailler au téléphone, avec votre prise, pendue à l’autre bout d’un fil, déjà tendu comme un élastique prêt à se rompre : « Pour la visite éventuelle à 19 heures, et bien qu’il soit déjà tard, cela pourrait ne pas être impossible (pour se faire respecter, ne jamais apparaître comme étant « aux ordres », le doigt sur la couture du pantalon), même s’il me reste encore à obtenir la confirmation de la faisabilité par le propriétaire (comprendre « malgré ton budget d’un million d’euros hérité de ton paternel, il existe des usages sociaux à respecter, tel que prévenir à l’avance un propriétaire d’une visite »). Toutefois, au préalable, je souhaiterai que nous parlions de votre projet d’acquisition. Que recherchez-vous exactement, architecture, volumes, emplacement ? ».
Quelle outrecuidance de la part d’un agent immobilier de poser des questions alors que 1. notre gros poisson doute que le négociateur, au téléphone, dispose d’un niveau intellectuel suffisant pour comprendre les réponses 2. le temps du premier est bien plus précieux à ses yeux que celui des autres 3. le sésame du million d’euros, qui, habituellement, ouvre les portes les mieux gardées de la région Toulousaine, a été agité sans provoquer les émois habituels !
Peut-être par éducation (et reconnaissance éternelle aux principes bourgeois de ne jamais montrer avec trop d’évidence sa supériorité à un demeuré potentiel), notre gros poisson accepte souvent, pour se débarrasser de la corvée, de maugréer finalement quelques courtes réponses à l’agent immobilier, comme on lance un os à un chien : « Je recherche une maison familiale, 300 m², 6 chambres, 1 bureau, avec jardin et garage, au calme, quartier Côté Pavée. Ok. Maintenant, est-ce que c’est bon pour ce soir, 19h ? ».
Deux options : accepter le rendez-vous en priant pour ne pas être tombé sur un mythomane, voire Jack l’éventreur, ou s’entêter à obtenir plus de renseignements (état civil, profession, employeur, durée de la recherche, délai du projet, etc…), quitte à rompre la ligne pour cause de gros poisson susceptible, irrité de devoir montrer nageoire blanche.
Si d’aventure, de guerre lasse, vous acceptez à l’aveugle le rendez-vous de 19h (« 100% des gagnants ont tenté leur chance »), pourtant pris à la dernière minute, vous découvrez sur place, en général, un poisson assez hautain, parfaitement à l’aise dans ses écailles griffées GANT, au look « preppy » et au moyen de locomotion allemand, noir de préférence. L’animal à sang froid est policé « Bonjour, au revoir », mais peu volubile. Pressé, il écoute d’une ouïe distraite vos commentaires (il est trop éduqué pour vous demander de vous taire), quitte à confondre éternellement le ballon de rétention d’eau avec la cuve de Fioul.
A la fin de la visite, généralement, le gros poisson file entre vos doigts, aidé de ses écailles certes dorées, mais glissantes (il a déjà passé une heure à respirer le même air qu’un agent immobilier, il ne va pas s’éterniser non plus). Avec son budget, notre vertébré aquatique a l’embarras du choix et le choix de l’embarras. Il n’aura souvent quand même pas assez d’éducation pour vous rappeler afin de vous tenir au courant de ses recherches, finalement abouties chez un de vos concurrents, et ce, malgré vos relances.
Dommage que vous ayez raté la 22ème rediffusion vespérale de « Sissi l’impératrice » sur NT1 pour lui. Vous auriez peut-être mieux fait de vous en tenir au sacro-saint principe de « ne jamais accepter une visite demandée au pied levé, même pour un gros poisson à l’écaille luisante ».
Le gros poisson à particules (sans filtre)
Comme il peut sembler doux, au premier abord, à l’oreille d’un agent immobilier lorsqu’un client s’annonce « Hubert Janvier de la Villetaneuse de Moranges » ! Entendez-vous en arrière fond sonore le doux cliquetis des pièces d’or qu’il vous sera bientôt possible de posséder grâce à ce gros poisson ? (« Il est enfin L’OR, MonseignOR…l’Or de s’enrichOR »). Si vous copinez avec lui, peut-être vous introduira-t-il dans l’univers feutré des LIONS Clubs et consorts… Que de belles possibilités de transactions par relations s’ouvrent à vous et ce, grâce à son noble intermédiaire.
Alors le premier réflexe est de chouchouter obséquieusement ce vertébré piscicole à la robe royale !
Erreur qui peut coûter cher, car, malheureusement, dans cette faune aquatique, très particulière, souvent recensée par le bottin (bocal) mondain, la gageure pour l’agent immobilier est de parvenir rapidement à filtrer le pseudo-gros poisson à particules et le classer dans une des trois catégories possibles :
- celle qui a eu du flouze depuis plusieurs générations et qui en a encore (collaboration fructueuse en perspective si le poisson à particules accepte de ne pas vous traiter comme un serf)
- celle qui n’en a plus, depuis longtemps, mais qui n’attend pas moins de votre part un traitement à la hauteur de son nom et perte de temps en courbettes inutiles destinées à regonfler son noble égo
- pire, celle qui est fauchée comme les blés et qui espèrent se refaire, par votre intermédiaire, une santé financière flamboyante grâce à la vente, à prix d’or, de la forteresse familiale littéralement en ruine, au prix d’une royale demeure (n’étant pas magicien, vous ne voyez pas comment vous allez réussir cette prouesse).
Hum, Hum…Avant d’accepter les inutiles visites sportives d’un dédale médiéval en ruine, invendable, si ce n’est au prix du terrain, il s’agit donc de réfléchir à deux fois, et ce, même si le fait de déclamer dans les dîners que Sieur Hubert Janvier de la Villetaneuse de Moranges a insisté pour travailler avec vous, méduse vos interlocuteurs, impressionnés de votre succès incontestable dans les affaires !
Frayer avec de "gros poissons" n'est donc pas synonyme de succès, pour beaucoup d'agents immobiliers! Il est de loin préférable d'avoir à faire à des clients "en affichant moins", mais réellement motivés pour acquérir dans les mois à venir !
AMIS CLIENTS, pensez donc à soigner votre simplicité, si vous souhaitez être pris au sérieux par les agents immobiliers expérimentés ! Comme certains de mes commentateurs l'ont déjà écrit dans ce blog : " A l'instar des hommes politiques, on ne récolte que les agents immobiliers qu'on mérite!".