« Mais comment vont les affaires ? », brûlez-vous de m’interroger ! Répondre « Moyennement … » équivaudrait à faire usage d’un euphémisme. Mais soyons précise, et détaillons la problématique ensemble.
Depuis fin Avril 2012, les affaires ne vont globalement pas bien, surtout si on compare le niveau des transactions du second trimestre 2012 à celui de 2010 et 2011, qui, je me dois de le rappeler, furent deux années surprenantes, car très porteuses pour les agences immobilières, alors que les prix étaient pourtant très soutenus et qu’en 2009, je n’aurais pas parié un seul centime de monnaie grecque sur une telle reprise « post-subprimes » pour les deux années suivantes !
Pourtant l’année 2012 n’avait pas mal commencé. Le premier trimestre 2012 fut même exceptionnellement bon, à la fois en province, mais aussi (et surtout) à Paris (les notaires parisiens ont même parlé d’un mois de Janvier 2012 « exceptionnel »). Sur ces trois premiers mois de l’année, les ventes réalisées ont représenté, pour mon agence, le double, en volume, de ce qui est habituellement pratiqué sur des mois d’hiver comme ceux de Janvier, Février et Mars.
Avec le recul, le faste de ces trois premiers mois peut être considéré comme une sorte d’orgie avant la disette, l’ultime soubresaut d’un marché moribond qui ne peut, à présent, plus que pousser son dernier souffle.
Car mi-Avril, retournement brutal de situation : les consultations des annonces en ligne commencent à faiblir, les demandes de visites se raréfient, le nombre d’offres d’achat suit cette courbe générale descendante. Les vendeurs, affolés, au téléphone, du faible nombre de rendez-vous programmés, nous interrogent pour connaître les raisons de ce brusque « trou d’air ». Toutes les agences de France et de Navarre y vont de leur couplet classique sur « la période des élections, peu propices aux affaires », « à la reprise qui ne manquera pas de réapparaître, comme en 2007, dès la fin du deuxième tour »…Les vendeurs, parfois sceptiques, se laissent, malgré tout, bercés par cette douce comptine selon laquelle la demande va repartir dès le lendemain du 6 Mai.
Lundi 7 Mai au matin. Les agents immobiliers scrutent frénétiquement leur boîte mails pour, malheureusement, constater que le nombre de demandes de RDV n’a pas subitement augmenté. Le téléphone aussi semble comme légèrement « dérangé ». Tiens, la formule magique du « lendemain d’élections » est lettre morte, cette fois !
Les jours de Mai commencent à s’écouler, les uns après les autres, sans qu’aucune amélioration notable n’apparaisse (du moins sur mon modeste marché de la région Toulousaine).
Pourtant, le contexte pourrait paraître favorable : les taux d’intérêt ne cessent de baisser et sont, à présent, à un niveau historiquement bas. Il est, depuis peu, possible d’emprunter à un taux proche de 3% sur 10 ans, et ce sans être salarié d’une banque ou pistonné !
Malgré cela, inutile de nier la réalité: le marché est mauvais. Après une décennie de hausses de prix, l’immobilier est grippé. Les raisons sont nombreuses, mais une seule, à mes yeux, explique un retournement si brutal : la foule réagit toujours comme «un seul homme » et cette fois, elle n’a plus, du tout, confiance en l’avenir.
Les médias communiquent sur les difficultés économiques de la zone euro. La crise de la « dette » fait la Une quotidiennement. Des plans sociaux sont annoncés. L’élection de François Hollande n’apparait pas, non plus, comme porteuse d’espoir dans ce contexte difficile. Certains de mes vendeurs patrimoniaux (et souvent assujettis à l’ISF) décident même de quitter la France lorsqu’ils le peuvent (retraite au Maroc, départ pour Londres ou la Floride afin de se rapprocher d’un fils qui y travaille déjà, etc…). Bref, mon téléphone sonne plus pour des mises en vente que pour des recherches d’acquisition.
Pourtant, l’envie de devenir propriétaire est toujours là, chevillée au corps des acquéreurs potentiels. Mais l’angoisse est à présent plus forte, d’autant plus que les prix ont atteint des niveaux stratosphériques. Beaucoup se réfugient alors dans l’attentisme. Wait and see, comme diraient les anglo-saxons.
Les annonces de biens à vendre s’accumulent donc dans les vitrines. Les propriétaires ne reçoivent plus autant de sollicitations qu’avant : les agences ne les appellent que rarement pour organiser des visites. Alors voilà ces gentils propriétaires-vendeurs qui s’inquiètent. Mais que se passe-t-il ? Une question les taraude : Et si le problème venait de l’agent immobilier mandaté, plutôt que du marché (parce qu’après tout, le marché, il n’est pas si mauvais. Les taux d’emprunts sont intéressants, les prix à Paris sont toujours élevés (d’après les médias), beaucoup de panneaux « VENDU » des agences concurrentes apparaissent, etc…) ?
Les Panneaux "VENDU" ne disent pas toujours la vérité
Il est amusant de relever que la dernière objection, concernant les panneaux, devient de plus en plus fréquente, ces derniers temps, de la part des vendeurs de ma zone de chalandise. En effet, dans un rayon de 25 kms autour de mon agence, les panneaux « vendu » se remettent à fleurir, tous aux couleurs des réseaux de franchise les plus connus. Comme le marché est difficile, le foisonnement de tels panneaux peut surprendre le néophyte.
Pas tant que ça, si on y regarde de plus près. Il s’agit, en fait, d’une manœuvre commerciale orchestrée par les têtes pensantes parisiennes des réseaux d’agences immobilières, qui incitent leurs adhérents à lancer l’opération « Panneaux Vendus ».
La stratégie est la suivante : les acquéreurs des 3 dernières années sont recontactés par l’agence qui s’était, jadis, occupée de la vente. Cette dernière leur propose d’apposer sur leur façade un nouveau panneau « VENDU » pendant un, deux ou trois mois, alors que, nous sommes bien d’accord, il ne s’agit pas d’une nouvelle vente. En contrepartie de cette publicité gratuite (et fallacieuse, vous en conviendrez !), le propriétaire consentant se voit offrir une bouteille de champagne (pas du Pommery, mais bon…) ou la possibilité de participer à un jeu concours (50 propriétaires posent un panneau, mais un seul gagnera peut-être …un vélo !).
Et bien, le croyez-vous, ça marche !!! Beaucoup acceptent le deal et servent de panneaux publicitaires ambulants en échange d’une contribution…dérisoire. Problème : alors que le marché est compliqué, l’impression donnée aux propriétaires vendeurs qui ne participent pas à l’opération « panneaux vendus » est que, si on en croit les panneaux à ses couleurs, telle agence franchisée pète littéralement les scores alors que la petite agence, indépendante, là, n’amène personne depuis des lustres. De telles opérations commerciales n’aident donc pas, vous en conviendrez, à faire prendre conscience aux propriétaires locaux que les ventes se raréfient.
En ce mois de Juin, notre ami le téléphone se remet donc à sonner, mais malheureusement, pas à l’initiative d’acquéreurs en recherche: l’agence reçoit, à présent, une dizaine de coups de fils journaliers de ces propriétaires-vendeurs, parfois particulièrement agressifs, agacés de voir fleurir des panneaux « vendus » sur d’autres maisons que la leur, alors qu’ils ne reçoivent plus beaucoup de visites.
Leurs remarques et questions tournent en boucle: est-ce qu’à la moindre difficulté, notre agence arrête les publicités ? Est-ce cette hypothétique absence de promotion qui explique l’absence de visites ? Finalement, est-ce que notre agence est à la hauteur de sa réputation ? Pourquoi les autres agences continuent apparamment de vendre ( au vu des (FAUX) panneaux "VENDU") alors que notre agence n’amène plus de clients ?
Assez agacée de devoir répéter 10 fois par jour les mêmes arguments (« Bien sûr que la publicité continue, évidemment que nous proposons votre maison lorsqu’un client dispose du budget, bien entendu, nous relançons les acquéreurs qui ont visité, l’opération « panneaux vendus » des confrères est une opération commerciale, etc… »), je me suis fendue d’un courrier assez salé auprès de tous les propriétaires-vendeurs. Cette lettre présentait les perspectives baissières pour 2012 et 2013, assorties de courbes de Friggit et d’une préconisation de baisse de prix, parfois assez forte.
Et bien, le croyez-vous ? Le téléphone a retrouvé sa quiétude depuis la réception de ma missive. Plus aucun propriétaire ne m’appelle pour savoir si j’ai sciemment choisi de passer mes journées à colorer mes ongles des pieds, plutôt que de réaliser des visites. Deux explications à cette situation (merci de cocher l’option que vous préférez) :
A. La découverte de la réalité a assommé mes vendeurs. Depuis la lecture de la lettre, ils sont dans un coma profond. Parfait. J’ai retrouvé la paix.
B. Ils n’osent plus me téléphoner de peur que je leur répète, oralement, avec force et vigueur, ce que j’ai eu l’outrecuidance de leur écrire, à savoir qu’ils doivent baisser leur prix.
Les propriétaires veulent que les agences leur donnent des nouvelles, oui, mais pas des mauvaises !
J’exagère un petit peu, parfois, les propriétaires réagissent : ce courrier m’a quand même valu une lettre recommandée d’un vendeur qui souhaitait arrêter le mandat sous le prétexte qu’un agent immobilier ne peut pas être efficace pour sa vente si ce dernier est persuadé de la nature baissière du marché actuel.
Lorsque j’ai rappelé ce vendeur pour le remercier de me libérer du mandat de vente concernant son bien, je lui ai dit : « Vous souhaitiez des nouvelles du marché. Je vous ai envoyé ce courrier pour que vous preniez conscience des évolutions actuelles, et cela me vaut une lettre recommandée de dénonciation de mandat ! Avouez que je suis fort mal récompensée… ». Le vendeur m’a répondu : « Je voulais des nouvelles, oui, mais des bonnes !! » (sous-entendu : « je ne veux pas qu’on me dise de baisser mon prix »).
N'hésitons pas à tirer les conclusions qui s'imposent: les vendeurs ne sont pas encore prêts à revoir leurs prix. CQFD.
Les bonnes vieilles réactions panurgiques reprennent donc le dessus. Il va falloir que le volume des ventes baisse sérieusement, sur plusieurs mois, pour que les vendeurs, sevrés de visites et d’offres, commencent à se poser la question d’une baisse de prix éventuelle. Nous n’y sommes pas encore mais nous y serons bientôt. Quand ? Peut-être vers le mois de Novembre, mois où la saisonnalité viendra naturellement renforcer la tendance baissière du marché.
Pour finir : mes prévisions
« Mes prévisions en terme de baisse de prix ? », me demandez-vous, pour conclure. Et bien, je vous répondrai que j’envisage une baisse de -5% d’ici fin 2012, une baisse supplémentaire de -10% à -15% d’ici la fin 2013. L’année 2014 devrait être également baissière pour atteindre une baisse globale cumulée sur les 3 années (2012 – 2013 – 2014) de -30% à -35%.
Cela fait beaucoup, certes, mais certainement pas assez pour certains.
Pourtant, je ne pense pas que l’immobilier décrochera plus. Le niveau des années 1999/2000 ne sera pas réatteint.