"Le nivellement par le bas" des professions immobilières, dans le marché actuel
Je dédie ce billet à un de mes lecteurs (qui se reconnaîtra), car il a eu la bonne idée de commenter un de mes articles et de me rappeler, à cette occasion, la théorie économique d'Akerlof concernant la problématique de l'asymétrie de l'information, que j'avais consciencieusement apprise à l'école, mais qui reste d'actualité.
Petit extrait de Wikipédia pour rappeler à tous en quoi consiste cette théorie économique, qui valut un prix Nobel à son auteur :
« Akerlof et le « marché des tacots »
Akerlof publie The Market for "Lemons" en 1970, qui met en évidence une situation d'asymétrie d'information sur un marché, en s'appuyant sur l'exemple du marché des voitures d'occasion. Le marché étudié est celui des lemons, que l'on peut traduire par « tacots » ou « rossignols », c'est-à-dire les voitures présentant des vices cachés sur le marché des voitures d'occasion.
Dans le « marché des tacots », les vendeurs possèdent de l'information supplémentaire par rapport aux acheteurs sur la qualité des produits, et sont incités à tromper ceux-ci en leur vendant une mauvaise voiture au prix d'une bonne voiture. Dans une telle situation, la courbe de demande du bien a une forme atypique. Elle n'a pas la forme classique (du modèle CPP) d'une fonction décroissante du prix. Mais celle d'une courbe en C « inversé ». En effet, les personnes qui possèdent « un tacot » vont tenter de s'en débarrasser en le vendant d'occasion. Comment les acheteurs peuvent-ils faire le tri entre les vendeurs qui ont de bonnes raisons de vendre leur véhicule et ceux qui le font parce que le véhicule est devenu un « tacot » ? Devant le risque, les acheteurs sont tentés de se retirer du marché, ce qui a pour conséquence de faire baisser le prix pour toutes les voitures. Les vendeurs de véhicules de bonne qualité, jugeant le prix trop faible, renoncent alors à proposer leur véhicule, et la proportion de « tacots » augmente, ce qui rend encore plus méfiant les acheteurs, etc. À la limite, le marché des véhicules d'occasion peut disparaître. En pratique il devient « étroit » et les « tacots » y sont surreprésentés.
Donc, devant un manque d'information sur la qualité, les mauvaises voitures chassent les bonnes. Ce modèle montre ainsi une imperfection du marché qui tire l'économie vers le bas. »
Notre marché français immobilier actuel pâtit de la même asymétrie d'information, défavorisant les clients, que celui du marché des voitures d'occasion aux Etats-Unis. Ainsi, remplaçons dans le texte ci-dessus « les vendeurs de tacots » par « agences immobilières de mauvaise qualité ». En effet, comment reconnaître un bon agent immobilier d'un mauvais ? Les agents immobiliers consciencieux savent qu'ils le sont, mais le client ne le sait pas. Comme chaque agence clame être la meilleure, comment discerner celle qui dit vrai, de celle qui ment ? Lorsqu'un acheteur abusé par cette publicité, découvrira que l'agence immobilière, qui se disait performante au départ, est finalement une vraie calamité, il ne pourra plus faire confiance au prochain professionnel affirmant être « un bon » (alors que peut-être que cette fois-là, c'est vrai !).
Devant ce risque, ce client préférera se passer à l'avenir des agences et vendra (ou achètera) de particulier à particulier. Voici une des raisons pour lesquelles le marché des transactions immobilières confiées à des agences est plus « étroit » en France qu'aux Etats-Unis. En effet, en France, seulement 50% des transactions s'effectuent par agence, contre 80% aux Etats-Unis. Redoutant d'avoir affaire à un mauvais professionnel, le particulier tente par tous les moyens d'éviter les agences (voir anecdote précédente « le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière »).
La question des honoraires est également concernée par la théorie d'Akerlof. Ainsi, comme pour les voitures d'occasion, redoutant d'avoir affaire à un professionnel se limitant à « ouvrir les portes » (cf. un « tacot »), le client n'est pas prêt à payer le prix fort pour les honoraires d'agence. Comme ce dernier a beaucoup de chance de tomber sur un mauvais agent immobilier, qui ne lui apporte pas de réel service, le client n'a pas envie de payer « cher » une prestation « quasi-nulle ». Ce phénomène crée une pression baissière sur les honoraires (voir apparition d'agences Low-Cost avec 1% d'honoraires seulement contre 5% en moyenne). Cette pression empêche les « bonnes agences » qui s'investissent vraiment et apportent un réel service (voir les articles « Tout ce que vous voulez savoir sur une agence immobilière » pour découvrir le bilan comptable d'une « bonne » agence et « Un chou est un chou » pour apercevoir ce que peut apporter un agent immobilier impliqué dans une affaire) de maintenir leur grille d'honoraires. Découragés, car non reconnus à leur juste valeur, les « bons » agents immobiliers quittent en masse la profession, ne laissant en place que les « vendeurs de tacots ». Le cercle vicieux est ainsi enclenché : les meilleurs étant partis, il ne reste que les mauvais qui continuent d'écoeurer les clients, qui décident de fuir les agences...
Cette désaffection entretient, en plus, le niveau élevé des honoraires des agences françaises : car, comme le pourcentage de transactions confiées aux agences n'est que de 50% du volume annuel, les honoraires ne peuvent pas baisser de manière significative et pérenne (les agences Low Costs ne tiennent pas plus de 3 ans). Seul le volume permettrait cette baisse, ce qui nécessite, au préalable, un retour massif de la confiance des acheteurs/vendeurs envers les agences. Et comme nous l'avons vu, je pense que ce retour de confiance ne sera pas pour demain, en raison du départ des « bonnes agences » du marché, et de la nature même du marché immobilier qui, malheureusement, n'est pas un marché « récurrent ». On n'achète pas une maison tous les jours. Ainsi, même si l'agent immobilier vous a apporté satisfaction, vous n'avez pas besoin de ses services régulièrement. Ce qui veut également dire que, si vous êtes une mauvaise agence et que vous décevez atrocement votre client, vous ne perdrez pas grand-chose à court et moyen terme. Le client ne serait pas revenu vers vous de toutes les façons. Pourquoi alors s'échiner à bien travailler, dans ces conditions ?
Alors, comment briser ce cercle infernal ? Comment donner envie aux bonnes agences de rester « performantes » ?
La réponse, donnée par les économistes, est résumée par la « théorie des signaux », qui n'est, en réalité, qu'une parade. Cette théorie consiste à envoyer des signaux clairs aux consommateurs afin de réduire l'asymétrie de l'information
- Créer une « marque » ou payer pour bénéficier d'une « marque » déjà reconnue
Certains professionnels de l'immobilier se franchisent dans ce but. Le nom de la franchise fonctionne, comme une marque, connue et reconnue, qui sécurise le consommateur et semble réduire l'asymétrie d'information. Ainsi, l'impression du client est positive d'emblée envers un franchisé. Le nom de l'agence lui est automatiquement familier, en raison de la publicité massive nationale effectuée par le réseau. Or, il ne faut pas oublier qu'un franchisé est indépendant par définition, et peut prendre certaines libertés envers les consignes éthiques du réseau, auquel il appartient. Comme pour les banques, ce n'est pas l'enseigne qui compte, mais le conseiller commercial que vous avez en face de vous, d'où le leurre, à mon sens, du « con »-sommateur, pourtant attiré en masse et en confiance vers les enseignes immobilières les plus connues. La preuve réside dans l'augmentation de la méfiance des clients envers les agences, alors que les franchisés représentent une part de plus en plus importante des agences françaises.
- Créer des « labels qualité » attestant de la formation et de l'honnêteté du labellisé
Ce label pourrait fonctionner en repère pour le consommateur, lui permettant de se fier aux agences labellisées, pour peu que le processus de sélection soit véritablement élitiste, et non commercial. Ce label « impitoyable » pour les mauvaises agences n'existe pas encore en France.
- Accepter d'être noté par les clients et de rendre publics les résultats
Avec la venue du Web 2.0, les sites des agences devraient permettre aux vendeurs, acquéreurs et prospects de donner leurs sentiments sur les services rendus. Cela devrait être obligatoire pour toutes les agences. Un classement des agences pourrait également voir le jour (je crois qu'un site web a lancé récemment cette ébauche de classement, mais pour l'instant, l'initiative reste très localisée). Les organisations professionnelles devraient intensifier les contrôles et publier les résultats.( Pour ma part, déjà 3 contrôles DGCCRF, et rien à redire, à part les félicitations du contrôleur. Mais qui le sait vraiment, à part moi ? Qu'est-ce qui garantit que je ne mens pas ? Pourquoi la liste des 77% des agences en infraction n'est-elle pas rendue publique, avec le motif précisé ?).
Ainsi, si les "bonnes agences" finissent pas être reconnues, elles attireront plus de clients et se développeront. Or, depuis plusieurs décennies, de manière objectivement injuste, mais économiquement justifiée par la théorie d'Akerlof, c'est le contraire qui se produit. Agent immobilier est donc bien la seule profession qui participe à son propre enterrement.
Toute autre idée de lecteur, ainsi que les commentaires, sont les bienvenus. J'espère que ce débat sera porté dorénavant par les acteurs du marché, et qu'une remise en question s'effectuera enfin. Je pense qu'il en dépend de l'avenir des professions immobilières.
Merci de m'avertir si vous souhaitez reprendre une partie de cet article...